Viol collectif, violence physique et psychologique, privation, exil, enfermement, misogynie, fugue, humiliation, prison… Pendant sa jeunesse, Amale El Atrassi a vécu l’enfer, soumise à la loi d’un père alcoolique et à une religion qu’elle pratique, mais dont elle refuse les traditions archaïques. A travers son livre « Louve Musulmane » publié en 2013 aux Editions l’Archipel, elle raconte et témoigne de son cauchemar.
« Dès les premiers échanges, la conversation a tourné à l’altercation. Les yeux mi-clos, muré dans son monde, Choukri était imperméable à tout argument. L’alcool avait fouetté ses démons intérieurs et décuplé sa force physique. Il s’est élancé vers ma mère, elle a fui, il l’a rattrapée et l’a rouée de coups. Comme nous tentions de la protéger, nous avons reçu notre part de raclées. Les jurons et les insultes pleuvaient, en arabe, trop orduriers pour être rapportés ici. L’enfer avait ouvert ses portes. Puis Choukri a jeté ma mère au bas de l’escalier, comme un enfant coléreux qui lance son jouet par terre. Il l’a rejointe pour la battre encore ; deux dents sont tombées. Nous avons couru chercher un oignon coupé pour le mettre sous le nez de notre mère. Nous gardions toujours un oignon à portée de main, sous le lit, dans un placard, sur une étagère… Nous croyions à ses vertus magiques. Combien de fois n’avait-il pas ramené ma mère à la vie après que mon père l’avait tuée ! Mais Choukri, dans sa perversité, avait coupé le courant pour que nous ne trouvions pas Karima. Nous l’avons tout de même secourue, et Choukri a rétabli le courant. (…) Mais nous craignions encore le pire : les veilles de week-end, Farid et moi partions la nuit en expédition dans la maison pour ramasser tous les couteaux et tous les objets tranchants. Nous les cachions et ne les remettions en place, discrètement, que le lendemain matin, pour éviter que Choukri, plus alcoolisé que de coutume, ne songe à s’en servir. »
Extrait du livre « Louve Musulmane ».
Univers’Elles. À travers le récit des moments chaotiques de votre vie, vous avez voulu démontrer les absurdités d’une culture dont vous chercher à vous affranchir. Vous en dîtes d’ailleurs que c’est un ouvrage sociétal, vecteur de plusieurs messages. Quels sont-ils ? Que souhaitez-vous dénoncer par-dessus tout ?
Amale El Atrassi. Je suis issue d’une famille modeste d’expatriés marocains où nous étions 6 enfants. Aux yeux de mon père, seuls mes frères avaient de l’importance. Mes sœurs et moi étions un déshonneur pour lui. Notre quotidien était donc teinté d’humiliations et de sévices. Dans « Louve Musulmane », je raconte mon histoire et celle de ma mère, mariée de force à 16 ans et soumise à cet homme, Choukri, alcoolique et violent. À travers mon récit, je délivre un message d’espoir. Car, tant qu’on est en vie, tout est encore possible. Il ne faut pas se laisser rabaisser. Nous devons être notre propre arbitre. J’y dénonce également l’Islam des illettrés qui pratiquent une culture archaïque et patriarcale, mélangeant religion et tradition. Une religion mal interprétée peut être dangereuse. Je suis une simple femme qui souhaite militer contre les injustices faites à la gent féminine. Dans tous les pays, toutes les cultures, tous les peuples et toutes classes sociales. Par le biais de mon témoignage, j’essaie de faire évoluer les choses, ainsi que les mentalités. Les femmes musulmanes ont d’ailleurs un rôle important à jouer dans l’éducation de leurs enfants : les mamans doivent arrêter de mettre leurs fils sur un piédestal. Les garçons et les filles doivent être au même niveau. Cela les aidera dans leur épanouissement personnel et dans leur rapport aux autres.
Univers’Elles. Vous n’avez malheureusement pas eu cette chance. L’écriture vous a-t-elle permis de reprendre confiance en vous ? A-t-elle eu un effet thérapeutique ?
Amale El Atrassi. Oui, complètement. J’ai commencé à écrire sur les conseils d’un psychologue rencontré lors de ma 1ère incarcération, à la suite d’actes de délinquance. L’enfermement et la privation dans lesquels je me retrouvais à nouveau m’étaient familières. Écrire m’a permis de libérer mon être. Cela a été un véritable déclic. Ce livre est mon médicament. J’ai pu mettre mes maux sur des mots et témoigner. Je participe à des salons du livre et j’interviens dans des lycées plusieurs fois par an pour raconter mon histoire. J’aime échanger et aller à la rencontre des gens. Mon livre m’a permis d’avancer et de transformer ma peur et ma haine, en courage et détermination.
Univers’Elles. Vous servez-vous de votre vécu, pour donner un autre exemple familial à vos enfants ?
Amale El Atrassi. Oui. J’ai grandi dans une famille ou la femme n’avait aucune valeur. Mes sœurs et moi étions « inutiles », selon mon père. Mes 2 filles et mes 2 garçons sont, eux, élevés à la même enseigne, le même amour. J’ai appris la tolérance et le respect avec le Coran et c’est ce que j’inculque à mes 4 enfants.
Univers’Elles. Quelles sont aujourd’hui vos ambitions ?
Amale El Atrassi. Témoigner, encore et encore pour que la condition des femmes évolue. J’envisage d’ailleurs une adaptation cinématographique de « Louve Musulmane ». J’ai déjà été approché par quelques personnes, mais je me donne encore le temps de la réflexion afin de faire les bons choix, pour que ce projet soit une réelle réussite, et qu’il puisse toucher le plus grand nombre sur écran géant.
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